Adelane Mecellem, né en octobre 1976 à Alger, est CEO chez AXA Partners en charge de la région Méditerranée et Amérique latine (MedLA). Il est également membre du comité exécutif d’AXA Partners.
Adelane Mecellem, Prendre son destin en main
Interview du 19/11/2023.
Après des études prestigieuses à l’École nationale polytechnique d’Alger (ENP) en génie industriel, puis à Paris Dauphine et à l’École polytechnique de Paris (l’X), Adelane rejoint le groupe AXA où il travaille depuis plus de vingt ans. Dès ses débuts en France au sein de la compagnie d’assurance, il devient actuaire agrégé. Sa carrière est propulsée en 2009 lorsqu’il fonde AXA Algérie.
C’est un dimanche soir, depuis Barcelone où il réside et travaille, que Adelane me consacre ce moment d’échange fort enrichissant. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, jamais parlés mais avons un point commun notoire : l’ENP, le génie industriel, qui m’offre cet agréable sentiment de familiarité. Sa nature humble et accessible contribue aussi à fluidifier notre dialogue. Ainsi, tels deux inconnus qui se connaissent, nous démarrons naturellement notre discussion.
Dès le départ, Adelane tient à me préciser : « Je suis intéressé par la démarche uniquement dans le but de donner de la perspective à nos jeunes et de leur montrer que rien n’est inaccessible… Je veux qu’ils aient envie et qu’ils réalisent qu’en travaillant, eux aussi peuvent concrétiser leurs rêves. Mon histoire de “réussite” dans les services financiers est banale, mon parcours n’a rien d’exceptionnel. Il est la conséquence d’un ingrédient principal qui est à la portée de tous : le travail. Je compte sur toi pour refléter cet esprit à travers tes mots. »
Dans quel milieu as-tu grandi, Adelane ? « Sur les plans éducatif et intellectuel, je ne peux pas prétendre avoir grandi dans un milieu modeste. Réussir à l’école était la chose la plus importante pour mes parents. Mon père répétait sans cesse qu’il fallait être parmi les meilleurs pour espérer s’en sortir. À l’âge de cinq ans, je connaissais mes tables de multiplication de 1 à 10 et entre douze et quatorze ans, j’ai lu tous mes classiques : Zola, Balzac, Victor Hugo… Lire était obligatoire dans la maison où j’ai grandi et je n’étais autorisé à sortir jouer au foot que lorsque j’avais fait le résumé quotidien de mes lectures à mon père. À cette même époque, Farid El Atrach, Mohamed Abdelwahab, et Oum Kalthoum fondaient les prémices de mon éducation musicale. J’ai donc grandi dans ce milieu intellectuellement très exigeant et stimulant, nourri par le culte de l’excellence. Contrairement à aujourd’hui où de nombreuses perspectives de réussite s’invitent dans l’esprit de nos enfants : youtubeurs, influenceurs…, pour moi, les choses avaient le mérite d’être claires : il fallait bien travailler à l’école. »
Et quel type d’élève étais-tu donc ? « Tout au long de mon parcours académique, j’ai fait partie du peloton de tête, mais je n’avais pas l’attitude d’un premier de la classe et certaines de mes fréquentations ont souvent intrigué mes parents, » avoue le CEO d’AXA Partners MedLA en esquissant un sourire.
Lors de mes sessions de mentoring, beaucoup d’étudiants évoquent la question de la visibilité. J’ai moi-même choisi la spécialité génie industriel par manque de clarté. Qu’as-tu à partager à ce sujet et quelle démarche intellectuelle pour construire cette visibilité ? « Tu as raison, Rym, beaucoup choisissent le génie industriel avec cette idée de poly-sciences, pour pouvoir continuer à toucher à tout parce qu’ils ne sont pas prêts à s’enfermer dans une quelconque spécialité. Je pense que dans les mêmes circonstances, toi, moi et beaucoup d’autres, avons réfléchi de cette même manière. Ce qui me semble important d’expliquer aux jeunes étudiants ingénieurs en Algérie est que, quelle que soit la spécialité choisie, le plus important est d’acquérir l’esprit de l’ingénieur et de l’ingénierie. Apprendre à traiter un problème, réfléchir autour d’une problématique, découper un projet, raisonner… Là est l’essence de nos études car, pour le reste, rien n’est irréversible. Ne pas tout savoir est normal et souvent, ceux qui prétendent avoir décidé du choix de leurs carrières à vingt ans “bluffent”. Aux jeunes de l’ENP en particulier, j’aimerais conseiller ceci : faites-vous plaisir après le tronc commun. Étudiez ce qui vous plait, approfondissez ce que vous avez envie d’approfondir ! Je défie quiconque de me démontrer une quelconque cohérence de carrières et de domaines d’emploi au sein d’une même spécialité… Le taux de corrélation doit être inférieur à 5%, nous retrouverons tous les types de parcours professionnels dans chacune des spécialités. Choisissez sans pression, ces années de spécialités sont votre occasion de vous oxygéner le cerveau, de lui faire réaliser une gymnastique intellectuelle formatrice. Soyez rassurés : rien n’est gravé dans le marbre. »
Pour sa part, Adelane confie qu’en plus de sa crainte de s’enfermer dans une spécialité particulière, une deuxième dimension a fortement pesé sur son choix du génie industriel : son amour des mathématiques et des mathématiques appliquées en particulier. « Cette passion pour les mathématiques appliquées a d’ailleurs, plus tard, guidé ma carrière : je suis assureur ! » lance-t-il amusé.
Le CEO d’AXA Partners MedLA raconte être parti en France à la fin de ses études à l’ENP, s’être inscrit à un diplôme d’études approfondies (DEA) à Paris Dauphine lors duquel il pensait faire beaucoup de mathématiques appliquées mais il est déçu. En parallèle, il découvre en France l’esprit de sacralisation des grandes écoles, et décide de se présenter au concours de l’X en candidat libre. En 1998, il intègre Polytechnique Paris où ses choix demeurent orientés vers les math-appliquées, les statistiques et l’économie... Plus tard, chez A, il prépare le diplôme d’actuaire, avec une fois de plus, une bonne dose de statistiques, de probabilités et de processus stochastiques...
Si je comprends bien, Adelane, ce fil conducteur nourri par ta passion des mathématiques a guidé beaucoup de tes choix, mais ta démarche a tout de même été incrémentale. Qu’en est-il de tes objectifs professionnels, t’en es-tu fixé tôt dans ta carrière ou le brouillard s’est-il levé encore une fois de manière progressive ? « Il y a un peu des deux, il faut se laisser vivre, découvrir les opportunités, essayer de mieux se connaitre, de comprendre ce que l’on aime car certaines choses ne se révèlent qu’au fil du temps. Il faut observer, essayer, tester et ainsi, définir ce que l’on veut. D’autre part, il y a un sujet d’ambition. Pour ma part, très tôt dans ma carrière, alors que j’étais encore très loin de ça, actuaire, faisant des calculs mathématiques sur des provisions chez AXA en France, j’étais convaincu de vouloir jouer des rôles impactant dans la compagnie (CEO, patron d’un P&L…). Cette clarté d’ambition m’a aidé à prendre ma décision lorsque l’opportunité de monter AXA en Algérie m’a été offerte. Je me savais attiré par la voie du leadership, celle du chef d’orchestre qui a une vision globale, sait traiter de différents sujets, implémenter des stratégies, galvaniser les troupes et faire converger leurs efforts vers un objectif commun qui a du sens pour tous. L’ambition offre une clairvoyance nécessaire lors de la prise de décision. »
Aux jeunes ingénieurs diplômés, Adelane recommande de commencer par les fonctions techniques, le principal atout “marketing” d’un jeune ingénieur vis-à-vis d’une compagnie quand il arrive. En parallèle du travail technique, il conseille d’entamer la démarche d’auto-connaissance (observer, essayer, tester et définir ce que l’on veut), car construire sa carrière est aussi réfléchir à sa carrière, prendre régulièrement du recul et faire le point sur ce qu’on aime et ce qu’on aime moins et confirmer qu’on est en accord avec ses ambitions. Dans les grands groupes surtout, Adelane attire l’attention sur le risque de se retrouver ensevelis sous les cendres du travail, de la pression et des lourds processus existants et de perdre toute perspective. Celui aussi de s’installer dans sa zone de confort, entouré de gens qui nous connaissent, emporté par les flots de la routine, sans jamais envisager de remettre en question l’évolution naturelle des choses et leur alignement avec nos objectifs de vie. Pourtant, insiste le membre du comité exécutif d’AXA Partners, tout au long d’une carrière, réfléchir régulièrement est primordial. Se demander ce qu’on a fait, où est-ce que l’on veut aller, comment y parvenir ?...
Quelles sont selon toi les éléments principaux de l’équation réussite ? La réponse fuse : « La variable qui a le plus de poids, celle qui influence le plus la forme de la courbe, est le travail. J’insiste dessus car je ne suis pas sûr que le travail soit de nos jours autant valorisé qu’il ne l’était dans le passé. Sans vouloir passer pour un “réac”, trop de jeunes pensent aujourd’hui qu’il n’y a pas besoin de beaucoup travailler et qu’il suffit juste d’avoir une bonne idée. C’est une illusion. La fameuse citation de Thomas Edison étaye d’ailleurs cette thèse : “Le génie est 1% d’inspiration et 99% de transpiration.” La réussite implique bien plus que de géniales idées. » Adelane rajoute un second élément à l’équation qui est la capacité de prendre son destin professionnel en main, de mener la réflexion permanente et d’exécuter des actions proactives pour aiguiller sa carrière. Le CEO d’AXA Partners MedLA préconise également de se faire coacher et de coacher quelqu’un en parallèle. « L’exercice nous apprend à mieux nous comprendre, à clarifier notre réflexion et à mettre des mots sur nos désirs. »
Enfin, l’ancien polytechnicien rajoute un dernier point : la dimension du leadership. Il affirme que développer les gens qui nous entourent, aimer le faire, améliorer au quotidien leur intérêt pour le travail, paie. « Il faut comprendre que la réussite est individuelle mais qu’elle est portée par un projet collectif, celui de l’entreprise. De plus, au-delà de son impact positif sur le business, le bon leadership génère du point de vue humain un sentiment de satisfaction qui donne un sens à nos actions. »
Qu’en est-il des opportunités, Adelane ? Quelle est leur place dans l’équation ? « Elles sont pour moi subjacentes à mon 2e point : l’anticipation. Dans une démarche de réflexion, il est très important de construire son réseau pour provoquer et saisir les opportunités, et tout aussi important, de savoir prendre des risques car beaucoup d’opportunités ne se présentent qu’une seule fois. Dire oui à l’opportunité de monter AXA en Algérie était un gros risque que je prenais et peu de gens dans mon entourage ont compris mon choix, mais ce même risque m’a permis six ans plus tard, de faire partie des principaux managers d’AXA. On n’a rien sans prise de risque. Quand on veut des choses que les autres n’ont pas, dans la limite que nous autorisent notre éthique et nos valeurs, il faut faire des choses que les autres ne font pas. » Adelane raconte la suite de son périple de prise de risques : son transfert vers AXA Partners Dubai après son aventure algérienne, puis l’extension de son périmètre couvrant l’Asie et enfin, son poste actuel à Barcelone. À chaque fois, il abandonne sa zone de confort et se lance de nouveaux défis, à la fois personnels et professionnels. « Prendre des risques et savoir saisir les bonnes opportunités est un art subtil, » conclut Adelane.
Tu as évoqué le réseautage. Quel est selon toi, de manière générale, la place des soft skills dans une réussite ? « Elle est très grande. Je recommande d’ailleurs fortement à tous de se former régulièrement. Personnellement, mon temps investi à me former sur les soft skills est beaucoup plus important que sur tout reste. Sur la prise de parole en public par exemple, j’ai dû avoir au moins cinq formations. Beaucoup d’entre nous, pour des raisons culturelles, avons cette carence. Nous devons travailler à la combler car, là aussi, l’effort et le travail sont la condition première et sine qua non de toute amélioration. »
Qu’en est-il du doute Adelane ? Quelle est ta relation avec ? « Je doute régulièrement, mais j’essaie de douter intelligemment, de questionner des choix réversibles et qui ont une portée dans le temps. J’évite d’ailleurs, autant que possible, de faire des choix irréversibles. Mais oui, je vis avec le doute, et pour lui faire face, je me force à apporter des réponses réfléchies à des questions simples et basiques : qu’est-ce que je veux faire ? Quelles sont mes priorités ? Quels sont les risques que je prends ? Est-ce que le pire des scenarios m’est acceptable ?... Le doute est une bonne chose, il veut dire que l’on avance, » conclut Adelane.
Qu’en est-il de l’adversité, serait-ce pour toi une force ou un facteur annihilant ? « J’aime les défis, je n’aime pas les courbes plates, j’ai besoin d’être en mouvement, en apprentissage continu. Je suis donc toujours à la recherche de la bonne adversité, celle qui me motive et me nourrit. Pas toutes, car certaines font mal, et d’autres ne méritent pas notre énergie. Quand on le peut, nous devons sagement choisir nos plus belles batailles. J’ai cette réputation dans AXA d’être un guerrier. Monter AXA Algérie en démarrant d’une ardoise vierge était une aventure empreinte d’adversité : le défi était immense. AXA Algérie est la première compagnie étrangère à s’être établie dans le pays sous la loi du 51%/ 49%. L’expérience fut autant hostile qu’enrichissante. »
Adelane confie être animé par les défis et l’adversité. Il avoue tout de même y avoir des adversités nocives et hors de notre contrôle, le racisme par exemple. Face à ces situations, l’ingénieur en génie industriel dit toujours se défendre en brandissant une arme infaillible : son travail. « Et ça marche ! » clame-t-il.
Pour conclure, je demande à Adelane de me citer soit une chanson qui lui insuffle la réussite ou une personnalité qui l’inspire. Le CEO est songeur. « La musique est très présente dans ma vie, c’est ma passion, elle apporte une oxygénation intellectuelle primordiale à mon fonctionnement. J’aime la musique orientale et arabe andalouse et je joue beaucoup au oud. Les dimensions art et culture sont très présentes dans ma vie, j’en ai besoin pour me “refaire”. Cela dit, aucune chanson associée au succès ne me traverse spontanément l’esprit. En revanche, sans être particulièrement fan de son auteur, le discours de Winston Churchill, prononcé le 4 juin 1940, en pleine deuxième guerre mondiale, alors que l’Europe fait face à des difficultés majeures, m’inspire énormément. J’aime ses mots prononcés avec aplomb, la puissance de leur portée, l’envie qu’ils infusent : “We shall never surrender”. (“Nous ne nous rendrons jamais”) »
Je quitte Adelane plongée dans un doux sentiment de fierté et d’espoir. Mes pensées lumineuses divaguent paisiblement quand, soudain, elles sont noircies par l’horreur d’images parvenant de Palestine. J’ai mal aux yeux et mal au cœur. Je me ressaisis. Plus que jamais, il faut dire à nos jeunes et nos enfants les constellations de nos cieux, mettre en lumière nos modèles de réussite, celui de Adelane et de tant d’autres. Nous devons révéler nos histoires, raconter nos brillantes étoiles. C’est à nous de le faire. “We shall never surrender”.